Les bons jours by Roger Judenne

Auteur:Roger Judenne [Judenne, Roger]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Fiction, Terroir
ISBN: 9782844944238
Éditeur: De Borée
Publié: 2006-02-20T23:00:00+00:00

XXI

Un surprenant marché

Clovis plongea les mains dans ses poches et se positionna face à la porte de la cuisine pour surveiller les éventuelles sorties. Ce qu’il avait à dire n’avait pas besoin de témoin. Maintenant, il s’agissait d’être habile.

« T’es de meilleure humeur que ce matin, à ce que je vois.

— Ils ont mis les bouchées doubles, répondit Maurice. Surtout Javelle. Pour lui, une engueulade, ça vaut un coup de pied au cul. Et comme c’est lui qui donne la cadence à l’engrenage, les autres sont bien obligés de suivre.

— Dame, maintenant que Malferré est sur le carreau, c’est toi le patron. C’est comme ça qu’ils te considèrent à présent. Une engueulade du patron, forcément, ça compte. »

Le mot « patron » réveilla chez Maurice les préoccupations que l’abrutissement du travail et du bruit avait éloignées. Ses sourcils s’affermirent et son visage s’assombrit.

« Ce matin, je me suis un peu énervé, s’excusa-t-il. Mais faut comprendre, racheter l’affaire de Malferré, c’est l’occasion de ma vie. Si elle me passe sous le nez, c’est une catastrophe. Alors, ça me rend nerveux par moments.

— Je t’en veux pas, le rassura Clovis.

— Le remembrement, il bloque tout pour moi. Pas de remembrement, pas de possibilité de vendre mes terres. Et sans argent, la batterie me passe sous le nez. Je suis sur la corde raide. Comment veux-tu que je donne une réponse ferme sous quinze jours ? Bernard veut attendre de savoir si le remembrement se fera et ça me paraît pas idiot, mais moi, je me rends bien compte qu’il sera pas décidé dans les quinze jours.

— Bernard t’a dit ça pour faire baisser le prix, répondit Clovis en haussant les épaules. Tes terres, elles l’intéressent.

— Peut-être pour faire baisser le prix, mais pas seulement. Plus j’y pense, plus je me dis que le raisonnement de Bernard est pas absurde. Acheter des terres qui restent éparpillées, faut admettre que c’est pas une affaire extraordinaire pour quelqu’un qui se met à son compte et qui va s’en foutre un paquet sur le dos pour s’équiper avec un tracteur moderne et des gros outils. Qu’est-ce que tu veux qu’il en fasse dans des champs tout petits ? »

Maurice fit un pas en avant.

« T’es contre le remembrement, c’est ton problème et à la limite, je respecte ton point de vue, mais franchement, Clovis, je te comprends pas. Dis-moi au moins pourquoi tu vas tout bloquer. »

Clovis prit son temps et répondit très calmement.

« Je bloquerai rien du tout. C’est encore les Chuche qui font courir ce bruit-là. Le père Chuche, c’est un malfaisant. Il est toujours à monter les gens contre moi.

— Tout le monde prétend que t’en veux pas, du remembrement. Tu l’as dit et redit. C’est pas vrai que t’es contre ? »

Clovis fit un effort et les mots lui égratignèrent la gorge au passage.

« Contre le principe du remembrement… pas forcément. Seulement, faut voir comment il se ferait. Dans une affaire pareille, faut être juste. On doit tous y retrouver son compte, les petits comme les gros.

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